- La société française serait, paraît-il, repliée sur elle-même, craignant la diversité des origines et peu encline à accueillir de nouvelles populations. Quelle est votre opinion ?
Denis :
Tout d’abord, il ne faut pas nier que les idées du Front National ont considérablement progressé ces dernières années et que les Français appellent à une meilleure maîtrise de l’immigration et surtout à une réelle intégration des populations étrangères. Cependant, je ne crois pas que les Français soient enclins à rejeter la diversité. Ils se reconnaissent dans cette diversité. Ils sont attachés au respect des différences, des parcours, des cultures et des opinions. En revanche, ils craignent ou rejettent majoritairement les comportements communautaristes et les intégrismes religieux. La République est ouverte mais elle a ses principes et ses exigences que tous ceux qui veulent y vivre doivent respecter. En particulier, elle défend la liberté de croire ou de ne pas croire, de se reconnaître ou non dans une communauté d’origine. Elle laisse à chacun le soin de se déterminer par rapport aux courants de pensée et la liberté de s’exprimer et de s’associer. La République ne peut en revanche tolérer ce qui peut la détruire : la tyrannie religieuse, le rejet de la démocratie et le repli communautaire. Les Français adhèrent aux valeurs de la République comme ils l’ont montré en masse en réaction aux attentats de Janvier et Novembre 2015.
Philippe :
La peur de l’autre révèle nos fragilités individuelles et collectives. L’altruisme n’est pas dans nos gènes ; bien évidemment les mouvements populistes s’appuient sur ces constats pour véhiculer des théories xénophobes et intolérantes prônant le repli identitaire, la solution à nos problèmes étant dans le rejet de l’autre de l’étranger. Depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, face aux crises successives que nous traversons, les partis politiques exacerbent la peur de l’étranger… même si nous savons bien que notre société s’est construite dans la diversité et le multiculturalisme.
Avec les mouvements migratoires actuels, les frontières des pays européens se referment. Pourtant, nous voyons dans nos rues, nos quartiers, nos entreprises, nos créations, nos créateurs, un peuple pluriel qui constitue la richesse de la nation. Se priver aujourd’hui de ces nouvelles énergies témoigne d’une vision à très court terme. C’est une erreur pour notre avenir car ces personnes qui frappent aux portes de l’Europe créeront de la richesse par leur désir de travailler. En France à l’horizon 2060, un tiers de la population sera âgée de plus de 60 ans !
- Alors que le pays connait des mutations économiques majeures qui laissent de plus en plus d’hommes et de femmes sur le bord du chemin, quelles devraient être les priorités des associations en charge d’accueillir, d’accompagner, d’héberger et de loger.
Denis :
En premier lieu, il est nécessaire de faire adhérer l’ensemble des Français au travail des associations qui se battent, sans exclusive, au quotidien, pour que les plus démunis et les plus précaires retrouvent une place digne dans notre société. Les citoyens ne savent pas comment travaillent nos associations. Beaucoup ne voient que des dépenses supplémentaires de la collectivité et ne perçoivent pas l’investissement que représente ce travail. A l’instar des grandes entreprises qui ont investi massivement dans la gestion des ressources humaines pour améliorer leur productivité, l’Etat, les collectivités territoriales, les entreprises privées et les particuliers ont tout intérêt à investir dans les associations agréées pour leur donner les moyens d’assurer un accompagnement global des personnes visant à les ré-inclure, à les réinsérer. Si les citoyens ne perçoivent pas cet enjeu de la réinsertion de façon positive, l’indifférence grandira et les pouvoirs publics poursuivront la réduction des dépenses dites « sociales » alors que ces dépenses sont tout bonnement « vitales ». Ensuite, il faut porter notre effort sur la participation des personnes accompagnées, à leur propre réinsertion. Il ne s’agit pas seulement de les faire participer à des instances de concertation. Nous devons les rendre acteurs, individuellement et collectivement, de leur parcours d’insertion. Cela nécessite du temps donc de l’argent mais cela repose surtout sur les exigences de l’engagement pris et de la confiance accordée. L’activité, l’action doivent être au cœur de nos pratiques (« Faire et en faisant se faire et n’être rien que ce qu’on fait » Jean Paul Sartre). Avant l’emploi rémunéré, il peut y avoir l’activité et le bénévolat. En dernier lieu, l’avenir des associations passe par la qualité et la variété du recrutement, l’efficience de la formation continue et la pertinence du contrôle interne, non seulement parce que les bailleurs de fonds, à juste titre, exigent une qualité de prestation à la hauteur des dotations consenties mais aussi et surtout parce que le secteur de l’accompagnement, de l’hébergement et du logement social exige une grande disponibilité, beaucoup de créativité et une capacité à créer des réseaux d’associations partenaires.
Philippe :
Tout comme le multiculturalisme, le fait associatif est l’une de nos richesses. Ce tissu qui couvre le champ social et culturel est à l’origine de bien des progrès, bien des créations et bien des mouvements d’idées. Aujourd’hui, nous devons craindre de nos financeurs une utilisation technocratique de l’Association. Il est loin le temps où nous étions co-constructeurs avec les pouvoirs publics des réponses à apporter à la lutte contre les exclusions. De plus en plus, nous sommes cantonnés dans une mission de prestations, nous devenons les opérateurs d’un État qui réfléchit… qui pense… seul. Les associations s’exécutent en répondant à des appels à projets qui les mettent en concurrence. Comment modifier cet état de fait ? La coopération inter associative, la construction de projets communs, la mutualisation de nos savoir-faire est une piste à suivre. Penser ensemble, proposer ensemble, créer ensemble, nous redonnera du poids face à un Etat prisonnier de ses vues à court terme. Pour réussir cette transformation, il faut que nos mentalités changent en démontrant que le regroupement inter-associatif n’est pas synonyme « d’absorption du petit par le gros », de perte d’identité et d’abandon de liberté. C’est une nouvelle voie à tracer, elle est semée d’embûches, de pièges et de craintes… mais elle est porteuse d’espoir en conduisant à la mutualisation de nos savoirs et à des économies de fonctionnement permettant d’améliorer la qualité de l’accueil et de l’accompagnement des personnes. Les travaux de « Recherche action Santé » en Maison Relais entrepris par le réseau Girondin des Maisons Relais illustrent bien cette mutation que doit entreprendre notre secteur.